Les migrants de Kos

Dans ce qui suit, j'utiliserai alternativement les mots "migrants" ou réfugiés". Vous retrouverez dans cet article du Monde la distinction sémantique qui peut s'opérer entre ces deux termes.


Chapitre I




Septembre 2015
Pour entrer sans violence dans l’histoire des réfugiés qui débarquent sur l’île grecque de Kos, commencez par marcher le long des plages - à partir d’Agios Fokas, au nord-ouest, ou de Tigaki, au nord-est. Ce ne sont pas de longues plages, plutôt une enfilade de petites plages. On devine que la plupart d’entre elles ne sont pas naturelles mais créées pour accueillir les touristes. Peu de sable ; souvent de la terre brute nivelée au bulldozer, des graviers. Pour une semaine de vacances, on s’en contente pourvu qu’elles soient ensoleillées. En revanche, pour des migrants qui débarquent, la piste d’atterrissage est parfaite : en pente douce, sans aucun rocher contre lequel se fracasser. On en viendrait presque à les imaginer plus accueillantes pour les migrants que pour les vacanciers.


Marchez vraiment sur la plage, en direction du centre-ville, parmi les chaises longues, les parasols et les touristes. En voiture, le long de la route côtière, vous ne verriez quasiment rien. En revanche, à pieds, vous tomberez rapidement sur des gilets de sauvetage, des chambres à air qui ont servi de bouée, des débris de bateaux pneumatiques gris de toute taille, des vêtements, des bouteilles d’eau, des canettes de soda…
Avec un peu d’habitude, on devine le début d’histoire de migrants que racontent ces restes d’accostage : Combien étaient-ils ? Combien d’adultes ? Combien d’hommes, de femmes, d’enfants ? Qu’avaient-ils à manger, à boire ? Ont-ils été malades ? Qu’ont-ils décidé d’abandonner à leur arrivée ?

Ces traces de leur arrivée ne subsisteront pas longtemps. Le service de nettoyage de l’île passe régulièrement astiquer les plages. En attendant, elles seront regroupées en tas, sur la grève ou plus haut, sur le bord de la route. Elles seront englouties, plus tard, par un camion poubelle. Pour l’heure, leur cohabitation avec les vacanciers reste paisible. Chacun à bonne distance...

Selon leur point de départ sur la côte turque, en face, les migrants auront à parcourir entre 5 et 10 miles. Le budget de leur traversée s’estime facilement. L’hyper low cost, c’est à la nage. Avec une combinaison, un gilet de sauvetage et un sac étanche, le voyage est théoriquement possible. Qui s’y risquerait ?
Le bas de gamme, 1000$ par personne, c’est le canot pneumatique sans moteur, à la rame.
Le milieu de gamme, le pneumatique équipé d’un moteur hors-bord pathétique : 1200$ à 1500$. Celui de la photo, prévu pour douze personnes embarque couramment quarante migrants.
Le haut de gamme, le plus cher, c’est le “vrai” bateau, rigide avec un “vrai” moteur dedans qui met la Grèce à quelques dizaines de minutes : minimum 2000$ par personne.
La durée du voyage dépendra du nombre de passagers entassés, de la capacité à s’orienter dans la nuit, de l’état de la mer, du vent contre lequel il faudra lutter même s’il baisse la nuit, de la puissance du moteur ou des bras qui rament.

Quel que soit le prix payé pour quelque embarcation que ce soit, elle sera surchargée. Rien ne dit qu’elle les mènera au bout tant elle sera instable, basse sur l’eau. Elle sera fréquemment submergée. On écopera tout le voyage. Les pneumatiques se dégonfleront. Les moteurs s’arrêteront car les passeurs n’auront pas mis suffisamment d’essence et là, pas de rames. Il faudra attendre les sauveteurs. Quant aux bateaux rigides, récupérés dans un arrière-port, ils feront leur dernière traversée. Pour gagner du poids - et gagner en flottabilité pour y caser plus de passagers - on démontera tout ce qui pourra rapidement l’être : placards, planchers, ancre. Il ne restera plus qu’une coque et un moteur. Ils couleront parfois. Toutes ces coques de noix ont un point commun : elles seront abandonnées à l’arrivée.

Pour éviter la police, les passeurs font quitter la côte turque au migrants, entre Bodrum et Karabag, à partir de minuit. Ils leur disent de naviguer “vers les lumières qu’ils voient en face”. Elles les mèneront aux îles grecques de Kos, Leros ou Kalymnos. A Kos, ils débarqueront, s'ils débarquent, sur une des plages du nord, de quelques minutes à quelques heures plus tard.
J’ai skippé beaucoup de voiliers. Je me souviens que dans de telles conditions - vent léger, nuit fraîche mais pas froide, visibilité d’une dizaine de miles, pas de houle, côte franche - barrer la nuit était un plaisir. J’imagine, ce soir, la frayeur profonde de ces réfugiés qui n’ont jamais fait une traversée ne serait-ce que de jour, qui ne se sont jamais éloignés de la plage de plus de quelques brasses, qui n’ont jamais vu la mer, qui ne savent pas nager.


Chapitre II



Pour comprendre une arrivée de migrants, il faut refaire le chemin des plages la nuit et attendre. Lorsqu’il fait très noir, on les entend avant de les voir. On devine où ils arrivent en se guidant sur leurs voix portées par le vent. Au petit jour, tout devient plus simple : on les aperçoit au loin se détachant sur le gris bleu de la mer du matin.
Les points d’attentes les plus propices sont ceux dont les lumières se repèrent loin en mer : le port de Kos ou la zone de windsurf avec son petit phare.



Il est six heures, le jour se lève sur Kos. C’est un petit matin calme et doux. Le vent vient de la terre. Il est encore très léger. La puissante brise de mer qui nait grâce à la chaleur du soleil sur l’île se lèvera en fin de matinée. Il fait frais, probablement un peu froid en mer. Il y a un petit point noir à l’horizon (en plein milieu des photos). Si à l’oeil nu, il est encore difficile de reconnaître ce qui approche, l’appareil photo numérique, lui, voit, et agrandit. Des migrants rament sur un pneumatique. Ils arriveront d’ici une petite heure.

Ils approchent, doucement. Le comité d’accueil les attend et leur fait des signes. Ce matin, il est au complet : l’équipe de télévision, les humanitaires, les curieux et les “recycleurs” dont nous parlerons plus loin. Il ne manque que le Marshaller avec ses bâtons lumineux.
Les journalistes tournent leurs premiers sujets. Le jour est suffisant pour que les images soient de bonne qualité sans projecteur mandarine. Je me suis mis dans leur axe pour comprendre leur cadrage : le journaliste commente, les rameurs à l’arrière-plan. Ca plante bien le décor. On comprend le thème et vu le type de bateau, on ne peut confondre avec l’arrivée d’Oxford-Cambridge.

Ils sont montés à huit sur un Mariner 3 conçu pour quatre. Un Mariner 3 vaut dans les 300$. Chacun aura payé 1000$ pour y embarquer. Même de loin, on voyait comme ils étaient bas sur l’eau. La mer affleure mais il n’y a pas de clapot, aujourd’hui. Chaque petite vague ne fait entrer que peu d’eau. On peut encore écoper. Il y a quelques jours, le vent soufflait à 20-25 noeuds. La nuit, la mer restait formée. Trois vagues et le canot était plein.
Si vous cliquez sur la photo de droite, vous remarquerez que l’un d’eux porte un gilet de sauvetage Yamaxa. Le nom ressemble à Yamaha mais ce n’en est pas. Ces vestes de flottaison sont une contrefaçon vendue 30$ pièce. Les Yamaha valent 60$. Elles ne servent à rien. C’est une arnaque. Elles sont rembourrées avec matériaux qui ne flottent pas. Il suffit de les jeter à l’eau pour les voir couler. Je ne leur ai pas montré. La police turque a fini par arrêter le gérant d’une échoppe d’Izmir qui les fabriquait. Il embauchait deux enfants syriens.

Quand bien même elles flotteraient, les gens de mer savent qu’elles seraient juste des aides à la flottabilité pour des personnes sachant nager, lors d’activités nautiques pas trop éloignées de la côte : jet ski, parachute ascensionnel, dériveur, catamaran… Elles ne seraient pas de réels gilets de sauvetage qui vous maintiendraient durablement dans la bonne position, la tête hors de l’eau, même inconscient. Une personne chaudement habillée pour la traversée, ne sachant pas nager, paniquée de se retrouver à l’eau, ne tiendrait que quelques minutes avant de se noyer. Sur les restes que l’on trouve sur les plages, je ne verrai aucun équipement permettant à quelqu’un de survivre immergé suffisamment longtemps pour être encore en vie lorsque les secours interviendront. Le bilan des noyades n’a rien de surprenant. Dans ces conditions, avec ce matériel, il est normal, terriblement normal.

Nos huit migrants ont échappé à ces problèmes.
La télévision enregistre leur débarquement sains et saufs.
Ils demandent : “Où sommes-nous ?
- A Kos, en Grèce.”
Ils se sourient.

L’homme, au centre, en polo bleu et en short blanc est un “recycleur”. Il y en a toujours un. Il ne vient pas assister les migrants. Il récupère le canot avant qu’il soit détruit ou que quelqu’un d’autre se l’approprie. Il met la main dessus et s’éloigne par la mer. Parfois, il le dégonfle et le transporte dans un coffre de voiture. La pratique n’est pas illégale. Nous sommes dans le cas d’un res derelictae, l’abandon au profit du premier possesseur venu. Le geste de cet homme n’est pas interdit mais il ne le met pas à l’aise. Il n’a pas voulu me répondre lorsque j'ai voulu l'interroger sur ce qu'il allait en faire.

Ils sont originaires du Bengladesh. Ils essaient de retrouver l’endroit de la côte turque d’où ils sont partis. Ils se sont un peu perdus en mer. Ils rament depuis quatorze heures. Je les trouve étrangement sereins pour des personnes venant de passer tout ce temps dans un pneumatique surchargé et instable, entre deux côtes mais je ne suis témoin que de la fin du périple, de leur soulagement. A cet instant, seul leur importe d’avoir réussi. Ils goûtent le bonheur de la terre européenne. L’heure n’est pas à s’ouvrir à des inconnus de leurs peurs et de leurs doutes.




Un de leurs premiers gestes sera de déballer leur téléphone portable. Pour la traversée, ils l’ont protégé contre l’eau en le recouvrant de plusieurs couches de plastique et de ruban adhésif. Le matin, on trouve fréquemment sur les plages des squelettes de smartphones qui ont beaucoup moins bien supporté le voyage.
Le téléphone leur est si essentiel que les équipes humanitaires ont installé de multiples points de recharges solaires. Ils s’en servent pour appeler leur famille, pour insérer des photos de leur périple sur leur compte Facebook ou Twitter. Les migrants sont très bien informés. Ils consultent en permanence les sites d’actualités pour connaître les pays dont les frontières sont encore ouvertes ainsi que les politiques d’accueil des pays européens.
Ils ouvrent Google Maps et nous demandent de les aider - en fonction de ce que nous savons, nous aussi - à construire leur itinéraire. Peu veulent reprendre la mer pour atteindre l’Italie et la péninsule salentine : Otanto, Brindisi. Ils préfèrent emprunter la route terrestre des Balkans. D’Athènes, ils remonteront tout au nord de la Grèce. Puis, ils prendront soit la route de l’Ouest - Albanie, Montenegro, Bosnie, Croatie, Slovénie - soit celle de l’Est - Macédoine, Serbie Hogrie, Slovaquie, République Tchèque...

Voilà. Ils sont arrivés depuis trente minutes. Leur premier contact avec l’Europe n’est pas désagréable : à boire, à manger, une cigarette, des vêtements secs, pas forcément à leur taille, mais ça ira. Une dernière photo souvenir de leur arrivée. Comme ils ne sont pas nombreux, ils montent tous dans la voiture d’une humanitaire qui les conduit au centre-ville. Ils n’ont rien d’autre que ce qu’ils ont sur eux. Pas un sac, rien, et ils sourient. Ils sourient car ils se figurent qu’ils ont réalisé le plus difficile du voyage. Ils ont atteint leur objectif : l’Europe. Le reste n’a pas d’importance puisqu’ils l’imaginent plus simple.


Chapitre III



La physionomie du centre ville de Kos a changé à plusieurs reprises en quelques semaines. Les autorités furent d’abord totalement prises aux dépourvu par les premières arrivées de migrants. En août 2015, l'île accueillait 7.000 migrants pour 30.000 habitants. Aucune structure d’accueil, des conditions sanitaires catastrophiques même après l’arrivée des humanitaires, des forces de police insuffisantes pour faire le tampon avec des commerçants excédés en pleine saison estivale, aucune solution maritime légale pour rejoindre le port du Pyrhée et désengorger l’île… Kos fut d’abord un cul de sac migratoire. Face aux tensions qui dégénérèrent en affrontements, la Grèce décida de laisser transiter les migrants sur son territoire puisqu’elle savait qu’ils ne s’y arrêteraient pas.

Deux préfabriqués superposés ont été installés au bout du port de Kos. Le jour, ils sont fermés. Ils sont en plein soleil. La chaleur y est insupportable. A partir de minuit, lorsque la température y redevient normale, les migrants viennent s’y faire enregistrer. Ils patientent d’abord devant la grande grille qui ferme l’accès nocturne au port. Puis, par groupes de vingt, accompagnés par la police, ils attendent devant une des deux portes. L’entretien est rapide : leur nom, prénom, celui de leurs parents, leur nationalité, leur destination, la prise d’une photographie. Il n’y a aucune vérification. Ce permis de circulation de trente jours est renseigné des éléments qu’ils ont déclaré, vrais ou pas. Il y figure un chiffre important : leur numéro d’enregistrement. Ici, le 37607. Il est l’assurance de pouvoir quitter Kos en ferry pour Athènes, après avoir payé son ticket 54€.

Une fois enregistré, un des points les plus importants de Kos est un petit panneau d’affichage, vissé sur un tronc d’arbre, à 30 mètres à gauche du commissariat. Chaque soir, la police y affiche la liste de ceux autorisées à embarquer sur le ferry du lendemain matin, ou du lendemain soir, ou du surlendemain.


En attendant d’apercevoir son nom sur les listes, il faut tuer le temps durant un jour ou deux, sous la chaleur de septembre. Certains se reposent en s’abritant du soleil sous les remparts de la citadelle. Il y a encore quelques jours, la police les en chassait. Certains se lavent à l’un des deux tuyaux d’arrosage installés, eux aussi, sous les remparts. La petite cabine de douche de toile bleue, à gauche, et le rideau fait de couvertures sont tout récents. Ils n’étaient pas là hier. Ils donnent un peu d’intimité, surtout aux femmes, que je devinais très mal à l’aise - même quand elles viennent en groupe - de se laver, même sommairement, même encore habillées, sous le regards d’hommes pas là par hasard. Ici, le concours de t-shirt mouillé est subi.

Certains regardent la mer, sur une natte, à côté d’une tente du HCR où ils passeront la nuit, avant de la laisser aux suivants.




D'autres améliorent l’ordinaire du sandwich fourni par les associations humanitaires de quelques poissons pêchés dans l’eau douteuse du port. Ils les feront griller, ce soir.









Chapitre IV


La nuit est tombée sur Kos. Comme chaque soir, l’attroupement se forme par vagues successives près du panneau d’affichage du commissariat. Il n’est pas éclairé. On se débrouille avec son portable, encore le portable. Même si tout le monde est serré, il n’y a aucune bousculade. On ressent juste un peu de tension, pas de violence, mais de la tension, celle de découvrir son nom sur cette liste qui ouvre les portes du port de Kos pour le départ et du Pyrhée pour l’arrivée.

Les migrants approchent en tenant un petit bout de papier sur lequel est rappelé le numéro qui figure sur leur laissez-passer. Le panneau est écrit en grec. Les chiffres sont en caractères européens. Comment s’y retrouver quand on ne lit que l’arabe ou quand on ne sait pas lire ? Certains migrants se transforment alors en interprètes. Ils ont plusieurs papiers en main et disent à ceux qui les leur ont tendus : “Toi, tu es inscrit là, tu vois ? C’est bon, tu pars demain. Par contre, toi, je ne te vois pas, la liste n’est pas encore arrivée à ton numéro, reviens demain. Toi, c’est bon.” Etc.




C’est une famille irakienne. Une femme avec ses trois enfants. C’est l’aîné qui cherche sur le panneau. Il vient de découvrir leurs noms. Toute leur tension à disparu. Ils sourient. Ils semblent heureux et, sans savoir pourquoi, ils se tournent spontanément vers moi et me proposent de les photographier. Ils ne me demanderont même pas de leur envoyer le cliché que je ferai d’eux ; Peut-être ont-ils juste l’envie de faire partager la joie qu’ils éprouvent à cet instant, les doigts en forme de V.

Le lendemain matin, nombreux sont ceux qui, avant leur départ, reviennent photographier le panneau à la lumière du jour. La photo envoyée aux proches leur dira : “Tu vois, tout va bien. Je suis inscrit, là. Je peux prendre le bateau pour Athènes.”


Un nouveau soir tombe. L’heure du départ arrive. Après un ultime contrôle du laissez-passer et de leur billet par la police, ils embarquent sur un ferry de la Superfast. Ils seront à Athènes demain matin. Un nouveau voyage commencera. Ils n’imaginent pas les difficultés qui les attendent. Nous sommes quelques “européens légaux” venus à Kos rencontrer ces migrants. Nous parlons entre nous, le soir. Nous sommes pessimistes. Nous pressentons, sans affect, froidement, ce qui les attend lorsque la volonté et les capacités d’accueil de l’Europe seront saturées - aucun d’entre nous ne sait dire quand : les rôles politiques et logistiques pivôts de la Turquie, les barbelés et les grillages, les blocages aux points de contrôle, les camps de transit en toile qui seront dressés par les associations humanitaires aux frontières fermées, le froid, la pluie, la boue, la faim.


Epilogue




Lorsque j’ai quitté l’île, de multiples signes dans le centre-ville montraient que Kos se délestait progressivement de ses migrants.

La liste punaisée sur le panneau d’affichage du commissariat n’a cessé de maigrir. Quand je suis arrivé, elle comportait vingt pages. Lorsque je suis reparti, il n’y en avait plus que huit. (Chacune de ses pages comporte cinquante-cinq noms.)

Au petit matin, le parc près de l’ancienne agora, les rues près de la citadelle, la petite plage devant le commissariat sont désormais presque vides. On n’y passe presque plus la nuit en attendant le bateau. Les matelas, les couvertures, les vieilles chaussures, les gilets de sauvetages qui servaient d’oreillers… tout ce qui n’était pas absolument nécessaire à la suite du voyage y a été abandonné.

Des rubans de signalisation interdisent l’accès des trottoirs-dortoirs bondés la semaine passée, le temps que la propreté, la netteté et “l’ordre d’avant” regagnent graduellement du terrain. Jusqu'à ce que les autorités organisent le hotspot de l'île, la prochaine vague de réfugiés - car il y en aura forcément une nouvelle - se les réappropriera, aussi aisément qu’elle les a délaissés. Un pas a été franchi. Une voie a été ouverte. Ceux qui, les premiers, ont fui la guerre et la désolation de leur pays ont tracé de nouvelles routes vers des pays plus riches, plus sûrs, pas nécessairement plus accueillants. D’autres, plus hésitants au départ, ont fini par suivre leurs traces, lassés des conflits et d’une pauvreté ne laissant aucune place à l'espérance.

Aujourd’hui, cinq pays accueillent 95% des réfugiés Syriens : La Turquie (1,9 M), le Liban (1,2 M), la Jordanie (0,65 M), l’Irak (0,25 M) et l’Egypte (0,13 M).
Mais tous les réfugiés ne sont pas Syriens et les leviers migratoires sont colossaux : à 22 millions de Syriens s’ajoutent 33 millions d’Irakiens, 156 millions de Bangladais, 190 millions de Pakistanais. Les capacités d’accueil du moyen-orient seront insuffisantes ; Kos, Chios, Lesbos, Leros, Kalymnos resteront durablement les portes d’entrée des routes migratoires vers l’Europe.